Praticiens hospitaliers et/ou contractuels, vous envisagez un départ, définitif ou temporaire, dans le privé ?
Attention, aux nouvelles dispositions érigées par la loi du 24 juillet 2019 et le décret n°2022-132 du 5 février 2022, lesquelles ont introduit un mécanisme permettant aux établissements publics de santé d’interdire la « concurrence directe », dans le secteur privé, par des praticiens hospitaliers ayant quitté le secteur public au profit d’une carrière dans le privé.
Le mécanisme consiste en la faculté (non automatique, donc) pour un établissement public de santé, d’imposer une obligation de non-concurrence à certains de leurs praticiens hospitaliers démissionnaires ou enclins à un départ temporaire du secteur public (mise en disponibilité, notamment) lorsqu’il existe un risque de « concurrence directe ».
En application de l’article L. 6151-1 du Code de la santé publique, sont concernés :
⁃ Les membres du personnel enseignant et hospitalier des centres hospitaliers et universitaires exerçant conjointement les fonctions universitaire et hospitalière ;
⁃ Les professionnels consacrant tout ou partie de leur activité aux établissements publics de santé ;
⁃ Les praticiens contractuels.
Étant précisé que la quotité de travail au sein de l’établissement public de santé, des praticiens concernés, doit être au moins égale à 50% d’un temps plein.
De plus, les dispositions du décret n°2022-132 du 5 février 2022, listent les structures d’installation libérale concernées, savoir :
⁃ Les établissements privés de santé à but lucratifs;
⁃ Les cabinets libéraux ;
⁃ Les laboratoires de biologie médicale privés ;
⁃ Les officines de pharmacie.
En d’autres termes, ce mécanisme vise à éviter aux établissements publics de santé de supporter une “concurrence directe” à leurs activités, en lien avec la réinstallation, dans le secteur privé, d’un ancien praticien hospitalier à l’issue de son départ.
Néanmoins, les textes ne définissent pas (encore) précisément la notion de « concurrence directe » et n’en fournissent pas non plus les critères ou caractéristiques, de sorte que cette absence de précisions, qui laisse une libre appréciation au directeur d’établissement, pourrait constituer une insécurité pour les professionnels de santé.
En conséquence, les professionnels de santé listés ci-dessus, peuvent se voir opposer une clause de non-concurrence (bien que non prévue initialement dans leurs contrats) en cas de départ (définitif ou temporaire) pour un des secteurs privés énoncés supra.
I. Mise en œuvre du mécanisme
L’établissement support du groupement hospitalier de territoire (GHT) fixe, sur proposition des directeurs des établissements membres du GHT et après avis de la commission médicale de groupement et du comité stratégique, les conditions de mise en œuvre de l’interdiction de non-concurrence, par profession ou spécialité, et le cas échéant, par établissement.
L’interdiction de l’exercice en secteur privé des praticiens hospitaliers concernés est limitée dans le temps et dans l’espace (à l’instar de toute autres clauses de non-concurrence).
Cette interdiction étant limitée :
à une durée maximale de 24 mois (aucune possibilité de renouvellement (ni aucune interdiction (!)) n’est prévue dans le décret du n°2022-132 du 5 février 2022) ;
- à un rayon maximal de 10km autour de l’établissement public de santé dans lequel le praticien exerce son activité principale.
Par ailleurs, le décret n°2022-132 du 5 février 2022 précise que la décision de recourir à l’instauration d’une obligation de non-concurrence doit être portée à la connaissance de tous les praticiens concernés « par tous moyens appropriés ».
Sur ce point, on constatera qu’il n’existe aucune précision quant à ces « moyens appropriés », lesquels pourraient donc être divers et variés et compliquer ainsi la « vérification » par les professionnels de santé, de leur liberté d’installation dans le secteur privé, en amont de leurs projets.
Enfin, le décret pose qu’en cas de non-respect de l’interdiction de non-concurrence, l’ancien praticien hospitalier recevra une convocation à un entretien, en présence du président de la CME, mentionnant la possibilité, pour le praticien, de présenter des observations écrites et de se faire assister du défenseur de son choix.
Dans un délai d’un mois à l’issue de l’entretien, la décision est notifiée au praticien.
En cas de confirmation du non-respect de cette interdiction, une indemnité est due par le praticien pour chaque mois durant lequel cette interdiction n’a pas été respectée.
Étant précisé que le montant de cette indemnité ne peut néanmoins pas être supérieur à 30% de rémunération mensuelle moyenne perçu durant les six derniers mois d’activité. (On soulignera sur ce point qu’il n’existe aucune précision quant au calcul de l’indemnité d’une part, ou de l’éventuelle prise en compte d’une rémunération nette ou brute, d’autre part).
II. Un mécanisme grandement critiqué (et critiquable ?)
Nul besoin de préciser que ce mécanisme est extrêmement controversé parmi les professionnels de santé dès lors qu’il constitue, pour beaucoup, un “blocage” à l’installation des praticiens hospitaliers au détriment d’une mixité, pourtant politiquement prônée, des activités de santé dans les domaines publics et privés.
Beaucoup ont ainsi considéré que ce dispositif portait atteinte à la liberté d’entreprendre des praticiens hospitaliers.
Néanmoins, par une décision du 28 septembre 2022, faisant suite à un recours introduit par le Conseil national de l’Ordre des médecins, le Conseil d’Etat a considéré que l’atteinte portée à la liberté d’entreprendre n’était pas manifestement disproportionnée en rappelant que ce mécanisme « vise à réguler l’installation des praticiens à proximité des établissements publics de santé afin de préserver l’activité de ces établissements » assurant le service public hospitalier.
Nombreux sont ceux à y avoir lu une prise d’avantages pour le domaine public de la santé…
Par ailleurs, si le recours à ce mécanisme (via l’établissement support du GHT et à la commission médicale de groupement) semble garantir une fixation “territoriale” de l’obligation de non-concurrence et ainsi limiter les dérives et/ou blocage de l’offre de soins, il n’en reste pas moins que le contrôle du respect de cette non-concurrence est opéré directement par l’établissement public où exerce le praticien concerné.
Pour beaucoup de professionnels de santé, cela constitue une insécurité juridique majeure.
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A toutes fins utiles, il convient de rappeler, aux professionnels de santé qui auraient pris la décision de cesser temporairement (par demande de disponibilités) ou définitivement leurs activités au sein d’un établissement public
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